Jae est né le 8 février 1985, par un jour pluvieux d'hiver comme on en connait si bien à Londres. Fort heureusement, le temps maussade ne se dépeignit pas sur la personnalité du garçon qui fût un enfant aussi souriant, curieux et éveillé qu'on puisse l'espérer. On dit qu'il avait hérité du nez pointu et de la malice de sa mère, mais également de l'air concentré et absorbé de son père lorsqu'il faisait ses coloriages ou tentait de comprendre le jeu des pièces de puzzles qui s'assemblaient entre elles pour former de jolies images (puzzles qui se faisaient miraculeusement tous seuls dès que sa mère avait le dos tourné). Il vécut les premières années de sa vie dans la joie et la découverte de ce monde nouveau, entouré de l'amour de ses deux parents.

Par un jour où l'orage grondait fortement, la pluie tombait drue et le vent se déchaînait, sa mère l'emmena faire les courses en voiture, scène banale de la vie qui se transforma en drame. A un carrefour, un taxi grilla un feu rouge. Leur voiture se trouvait alors sur le chemin. Freinage. Les pneus glissèrent sur le sol détrempé. Trop tard. Collision. Leur voiture fit quelques tonneaux, sa mère n'avait pas attaché sa ceinture. Les ambulanciers n'eurent pas le temps de l'emmener à l'hôpital qu'elle expira son dernier souffle. Quant à Jae, il se retrouva comme par magie à quelques mètres de la voiture, assis sur le bitume sous les trombes d'eau, pleurant à s'en déchirer les cordes vocales, avec seulement quelques égratignures lui lacérant les mains. Plus tard, le souvenir de l'épave de la voiture brûlant de flammes hautes et brillantes hantera longtemps ses rêves.

Les années suivantes furent difficiles. Comme après une tempête, il faut évaluer les dégâts, balayer les débris et colmater les brèches. Tout reconstruire et essayer d'avancer. C'est ce que son père a tenté de faire, tant bien que mal. Au début, quelques repas furent oubliés, Jaesun attendit parfois tard que Mr. Kim vienne le chercher à l'école. Et les pleurs le soir, que le garçon entendait depuis sa chambre, allongé dans son lit avec la couette montant jusqu'à ses yeux humides. Malgré son jeune âge, Jae comprit assez rapidement que plus rien ne serait comme avant. Que les sourires que lui faisait son père n'étaient pas vrais. Et qu'il ne fallait pas lui en vouloir, c'était dur, maman était partie. Lui aussi était triste, mais papa l'était encore plus. Il ne fallait pas faire de caprice, ne pas pleurer devant lui sinon papa avait encore plus de peine. Alors du haut de ses six ans, Jae avait commencé à apprendre à se débrouiller tout seul. Cela débutait par préparer son petit déjeuner, se laver, s'habiller et faire ses devoirs sans l'aide de personne. Passer des soirées devant la télé, jusqu'à tard dans la nuit, en attendant que son père rentre du boulot. Puis rapidement, ce fût lui qui s'occupa des repas et entretint leur appartement. Lui qui triait les factures, vidait les poubelles et faisait les courses. Son père l'aidait parfois mais la plupart du temps, son travail l'accaparait. Et Jae ne lui en tenait pas rancœur, il savait que le confort de leur vie dépendait de lui. Après tout, leur petit ménage tenait le coup et avec les années, ils apprirent à vivre ensemble et à surmonter le drame. Son père esquissait même parfois quelques sourires, des "vrais" cette fois, pour le plus grand bonheur de Jaesun. Tous les deux étaient solidaires et liés par un amour très fort, certes né d'un drame, que peu parvenait à comprendre. D'ailleurs, Jaesun détestait qu'on les plaigne ou entendre dire que son père s'occupait mal de lui. Lui se contentait fort bien de cette vie, et se sentait même parfois coupable de ce sentiment vis à vis de sa défunte mère.

Et il y eut la magie. Au début, ça ne l'avait pas choqué. Jaesun prenait ces phénomènes étranges qui apparaissaient autour de lui comme quelque chose d'inexpliqué mais de tout à fait normal. Après tout, il y avait bien de la magie dans les livres qu'il lisait ou les dessins animés qu'il regardait. C'est un peu plus tard, quand la naïveté et l'innocence s'affadissent, vers l'âge de neuf ans, qu'il a commencé à se poser des questions et s'est rendu compte que tout n'était pas si normal que ça tout compte fait. Ça venait de lui. L'évidence le frappa quand un jour son père faillit être assommé par un vase que leur chat Fripouille avait fait tombé de l'étagère du salon. Celui-ci se transforma miraculeusement en ours en peluche au moment où il allait percuter le crâne dégarni de son paternel, alors que Jae avait levé les bras en un geste de réflexe. Tous les deux s'étaient alors regardés, complètement éberlués par ce qui venait de se passer.
Peu de mois après, on vint leur annoncer que Jaesun avait certains pouvoirs et qu'il allait devoir se rendre dans une école spécialisée. Au départ, son père n'était pas trop d'accord mais sous l’insistance de son fils et les paroles rassurantes de ce vieux sorcier qui était venu à leur appartement leur annoncer la nouvelle, il accepta. Jae était évidemment un garçon spécial, au fond de lui-même Mr Kim l'avait toujours su.

Les premières semaines à Poudlard, la séparation fut compliquée. Le père et le fils avaient toujours vécu ensemble, ils avaient besoin l'un de l'autre. Jaesun eut toutefois plus de facilité à s'adapter que son père, qui lui retrouvait un appartement vide quand il rentrait chez lui le soir.
Le garçon découvrait ce nouveau monde avec curiosité et fascination, teintées d'une pointe de peur quant aux événements qui s'étaient produits alors. Passé l'émerveillement, il réalisa que le monde magique ressemblait étrangement au monde moldu sur certains points. Il y avait aussi des gens malhonnêtes, des discriminations et même des noirceurs encore plus effrayantes. Immanquablement, Jae entendit le mot "Sang-de-Bourbe" flotter dans l'air à son passage dans les couloirs de l'école et se prit quelques coudes dans les côtes, ou des sortilèges quand il avait le dos tourné. Au début, ce genre de choses arrivait assez rarement et ne l'affectait pas plus que ça, mais cela devint de plus en plus fréquent avec le temps. Quand à la fin de sa deuxième année le directeur de Poudlard fut assassiné, qu'on lui conseilla de ne pas revenir à l'école pour sa troisième année et de rester sur ses gardes, Jaesun prit conscience que sa sécurité (et celle de son père) était possiblement en danger. Le garçon passa donc l'année chez lui, à suivre de loin la bataille qui faisait rage dans le monde sorcier avec la légère mais tenace appréhension que tout pourrait basculer d'un moment à l'autre. Fort heureusement, aucun événement majeur ne se produisit et il en profita pour retrouver son père qui ne cacha pas la joie de revoir son fils en dehors des vacances scolaires, et surtout en un seul morceau.

Jaesun comprit l'ampleur de la guerre quand il revint à Poudlard pour sa quatrième année. Il eut l'impression d'être passé complètement à côté du drame, et le regard lourd de ceux qui ont survécu à des événement atroces dans les yeux de certains de ses camarades et de ses professeurs lui était complètement étranger. Du haut de ses quatorze ans, il n'avait pas tout saisi de l'enjeu qui s'était déroulé ici. Il connaissait juste les faits, mais n'avaient pas les ressentis. Il avait tenté de comprendre mais il savait que pour ceux qui ne l'avaient pas vécu, c'était probablement impossible.
La réadaptation se fit donc en douceur mais pour un garçon comme lui qui avait déjà subi de grands changements dans sa courte vie, Jae s'en sortit sans plus de difficultés. Le temps reprit peu à peu son court normal, rythmé par les journées de classe et les bonnes vieilles habitudes. Jusqu'au prochain chamboulement...