Un hibou surchargé de livres se jeta devant Céleste Savage, élève de Gryffondor, au matin du mercredi 23 février. Il tâcha, tant bien que mal, de ne pas s'écrouler dans un plat d'oeufs brouillés, et remua son plumage, agacé.

L’animal exténué plongea le bec dans son verre d’eau tout en tendant une patte à Céleste. Un parchemin y était grossièrement attaché, à l'aide d'une ficelle de lin. Il attendait, tout en se désaltérant, que Céleste le débarrasse de tout son fardeau.


Liam avait hésité. Devait-il simplement lui envoyer les manuels, sans rien d’autre ? Ou bien, ajouter un mot ? Dans tous les cas, il n’était pas question de faire mention du baiser qu’elle lui avait donné. La gamine était désorientée, vulnérable, et malgré la douceur de ses lèvres et la chaleur qui avait pu envahir Liam à cet instant, il valait mieux faire comme si rien ne s’était passé. Elle avait seize ans, elle ne savait pas ce qu’elle faisait. Elle était bien trop jeune pour lui. Et bien trop innocente, surtout.

En emballant les ouvrages, Liam se dit toutefois qu’il voulait avoir de ses nouvelles. La gosse avait un certain humour, un charme certain, il l’avait protégée, il s’était impliqué, pour une fois. Il ne pouvait pas l’ignorer à présent. Il se saisit donc d’un vieux parchemin qui trainait au milieu de sextants et autres boussoles, à côté de la barre de son voilier, et resta là, bloqué, la plume à la main. Que dire ? Il ne la connaissait pas assez pour lui écrire un roman, comme ceux qu’il pouvait adresser à sa sœur.

Si Liam, très mauvais parleur, était un excellent écrivain, il se trouvait à présent complètement muet, hagard presque. Il resta immobile, pendant plusieurs minutes, et se décida finalement à griffonner ceci :

Keats, son poète favori. Keats… Qui décrivait si bien sa soif de dire, et son inclinaison à se taire. Celui qu’il venait justement de relire, alors qu’il voguait vers l’Angleterre. Celui qu’il venait justement de relire, après s’être débarrassé de cette ordure de Sutton… Il avait savouré toute la souffrance de l’homme, qu’il avait torturé sans aucun scrupule. Une mouche, à qui on arrache les ailes, l’une après l’autre, et qui se débattait lamentablement sur le sol enneigé, sur le sol ensanglanté… Il avait fait honneur à la brutalité de Greyback, il l’avait retrouvé sans difficulté, dans une forêt du Pays de Galles. La traque n’avait pas été aussi savoureuse qu’il aurait pu le croire, mais il s’était délecté en le mettant à mort.

Liam plia le parchemin, qu’il attacha, ainsi que les manuels qu’il venait d’acheter chez Fleury & Botts, à la patte du hibou grand-duc qui l’avait suivi dans son périple.  Le hibou s’approcha péniblement du hublot entrouvert, lui décochant un regard sévère, et s’envola, loin du voilier de Liam, ancré dans le port de Londres.

Le temps était sombre et brumeux, tout comme l’esprit de Liam, ce mercredi-là. Il se réveilla aux aurores, pour mettre un peu d’ordre dans le bric-à-brac qui se trouvait dans sa cale. Et aussi parce que le sommeil était en ce moment une grande source de souffrance. Durant la nuit, il avait encore rêvé de sa sœur, et s’était réveillé, couvert de sueur, alors que la lumière du jour peinait à s’imposer à travers le lourd manteau de nuages.

Il se leva d’un bond, se dirigea dans la salle de bain, qui ressemblait plus à un placard qu’à une salle de bain d’ailleurs, et se passa de l’eau sur le visage. Dans le miroir, un homme contrarié, aux traits tirés. Il haussa les sourcils et marcha, pieds nus, jusqu’à la minuscule cuisine du voilier où il se concocta une infusion à base de sauge et de citronnelle. Avalant le breuvage d’un seul trait, il se dit qu’il ne pouvait pas laisser sa marchandise sans protection plus longtemps. Il se leva, descendit donc dans la cale par l’échelle qui se trouvait dans un des coins de la pièce, et commença à marmonner des incantations. Le contenu de la cale était impressionnant, et représentait une somme certaine. De nombreux objets magiques de grande valeur, glanés aux quatre coins du monde, et qu’il se destinait à revendre au plus offrant.

Une heure passa. Liam, torse nu, simplement vêtu d’un bas de jogging gris, remonta, satisfait. Cela devrait convenir. Il se glissa sous la couette, et parvint à se rendormir.

Le bruit que fit le hibou en frappant son bec sur le hublot suffit à le réveiller. La nuit venait de tomber. Il alla lui ouvrir, et lui offrit une souris qu’il avait retrouvée piégée le matin-même. Le hibou l’avala toute entière et hulula gaiement.

Elle lui avait répondu. Il détacha le petit bout de parchemin et mot et le lut. Dommage, il aurait bien aimé savoir s’il n’avait pas perdu la main et si sa production était aussi bonne que celles qu’il avait pu rendre, vingt-cinq ans auparavant. Il chiffonna le mot, le balança dans un coin, et se prépara une nouvelle infusion.

Elle n’avait pas l’air de vouloir garder contact. Tant mieux pour elle. Liam but sa sauge, se leva, enfila un tee-shirt et sa veste, et sortit du bateau, ignorant totalement cet étrange pincement au cœur qui venait de naître en lui.

Liam avait passé les derniers jours hors de chez lui. Il avait parcouru Londres et ses alentours à la recherche de clients pour ses trésors. Naïvement, il s’était dirigé, dans un premier temps, chez Barjow & Beurk, dont la devanture était recouverte de planches de bois grossièrement cloutées. Fermé, évidemment. La tâche allait être plus ardue que ce qu’il avait prévu, mais il ne manquait pas de ressources.

Il avait donc quitté le Chemin de Traverse et transplané à Codicote, une petite bourgade pittoresque, au Nord de Londres. Il avait passé l’église St Giles et pris à droite, dépassant The Goat, un pub sympathique où il lui était arrivé de passer quelques soirées, il y avait bien longtemps. Il s’était arrêté devant le portail d’un petit manoir grisâtre datant du Moyen-Age, et s’était engouffré dans le jardin. A la porte, il avait frappé cinq coups. Un petit sorcier grassouillet au visage jaunâtre et au nez écrasé lui avait ouvert.

« Whyte ! Quelle visite inattendue ! Entre ! »

Le sorcier était un dénommé Justus Tugwood, autrefois Langue de Plomb au Ministère. Il avait accueilli Liam avec le plus grand des plaisirs, puisqu’il vouait une fascination inqualifiable pour les artefacts rares et chers. Il lui avait acheté une idole aztèque aux pouvoir inconnus, un vase de jade, et une dizaine d’autres objets. Tugwood avait même indiqué à Liam l’adresse de deux autres clients potentiels, et l’avait raccompagné hors de chez lui, après quelques verres d’un whisky hors de prix.  

Trois jours après, Liam regagnait le port de Londres, afin d’aller chercher les objets qu’il allait devoir livrer à l’un et à l’autre. Harassé, les cheveux en bataille à cause du vent glacial qui soufflait sur les quais, il se hâta de regagner le Ulysses, son navire, avec la ferme intention de dormir un peu avant de repartir. Il l’avait bien mérité. Il grimpa sur le voilier, et remarqua une chouette recroquevillée qui tremblotait  sur le pas de la porte. En le voyant, celle-ci rentra dans une fureur terrible, lui sauta dessus et l’attaqua à coups de bec. Liam tâcha de se protéger le visage comme il pouvait, tout en ouvrant la porte.

- Du calme, je t’ouvre ! Il fait chaud à l’intérieur, et j’ai de quoi te nourrir, lui cria-t-il en la repoussant.

La chouette, qui l’attendait apparemment depuis un moment, se calma et se posa au milieu de ses instruments de bord, en attendant qu’il honore ses paroles. Liam se saisit d’un piège à souris, et lui donna l’animal qui était pris dedans. La chouette daigna alors se laisser approcher, et Liam retira le parchemin qu’elle avait à la patte, lui tendant dans le même temps un verre d’eau qu’il venait de remplir.

- Tu dormiras ici, pour reprendre des forces.

Il n’attendait aucun courrier, hormis peut-être de la part de sa sœur, mais c’était une grosse chouette hulotte qui apportait habituellement ses lettres. Il décacheta le parchemin, le déroula, et lut les quelques mots que Céleste lui adressait.

Mmh. Il ne s’attendait pas à des nouvelles de sa part, vraiment pas. D’ailleurs, il avait été tellement occupé qu’elle avait totalement disparu de ses pensées.

La lettre à la main, il alla se jeter sur son lit, et, après avoir enlevé veste et tee shirt, la lut à nouveau. Il ne put s’empêcher de sourire à la mention de Ripper. Si la gosse avait peur pour lui, elle était à mille lieues d’imaginer le sort que Liam lui avait réservé. Plusieurs lectures, encore. Liam déposa finalement la lettre sur sa table de chevet et sombra dans un sommeil sans rêves, cette fois ci.

Liam se réveilla en fin de matinée. Son premier réflexe fut de se saisir du parchemin et de le glisser dans la poche arrière de son jean, dans lequel il avait passé la nuit. Eau sur le visage, infusion de sauge. Il se saisit finalement d’un parchemin, observant la fumée qui s’échappait de sa tasse. Qu’allait-il pouvoir lui dire ? Il devait la rassurer à propos de Sutton, sans pour autant rentrer dans le détail. Quant au reste… La môme se fourvoyait sur Liam, dont la capacité affective était proche de zéro. Elle semblait vouloir conserver le maigre lien qui les unissait, le renforcer même. Et lui…

- Tu as seize ans, gamine… marmonna-t-il dans sa barbe en hochant la tête.  

Il prit une gorgée de sauge, pensant peut-être que cela l’aiderait à réfléchir. Ce n’était pas le cas. Il soupira et se saisit d’un parchemin et d’une plume. Il fronça les sourcils, une moue préoccupée sur le visage. Etrange, cette envie de lui répondre, ce plaisir à la lire. Il ne comprenait pas. Les hésitations s’évanouirent et il rédigea d’un trait la lettre suivante.

Liam avait voulu l’éloigner, l’éloigner de lui, mais n’avait pu s’empêcher de glisser à nouveau quelques vers du poète qu’il aimait tant. Il hésita, faillit chiffonner le parchemin et ne pas lui répondre. Finalement, il le roula, l’attacha à la patte de la chouette, qu’il laissa repartir vers Poudlard.

Qu’est-ce qu’elle avait, cette gosse, pour qu’il se sente aussi confus, aussi étrange à l’intérieur ? Liam finit de boire le contenu de sa tasse, et alla se préparer pour repartir. Une gamine, aussi intrigante fût-elle, n’allait pas empêcher Liam de poursuivre sa route.