[Décembre 1986]
« Joyeux anniversaire, Rachel. Ton premier. Tu souffles avec Maman ? »
La jeune demoiselle, une touffe de cheveux flamboyants sur la tête, babilla en adressant un immense sourire au visage familier qui semblait si heureux en ce jour. Le ciel blanc laissait tomber un manteau neigeux compact qui recouvrait la moindre parcelle de couleur d’un voile cotonneux.

[Janvier 1991]
Rachel était assise dans un coin de la maison, les bras croisés, le visage colérique. Elle ne laisserait PAS sa chambre. Encore moins à un garçon. Il allait tout saccager ! Et puis, elle n’aimait pas les garçons. Elle était très bien toute seule.

[Septembre 1992]
« MAMAN ! Ed a gribouillé sur toutes mes photos ! »
Elle n’en pouvait PLUS ! Tout ce qu’Ed pouvait faire pour la rendre furieuse, il le faisait ! Elle arriva en trombe dans le salon, brandissant une photo d’elle édentée et borgne. Cette enflure de petit frère… Elle allait lui apprendre la vie.

[Décembre 1993]
« Est-ce que j’aurai des pouvoirs un jour, moi aussi, Papa ? »
L’homme lui adressa un regard aimant et passa la main dans les longs cheveux de sa fille dont la tête reposait contre son torse.
« Sûrement, mais c’est possible aussi que tu n’en n’aies pas, comme ta tante. Mais si ça arrive, ce n’est pas grave… »
Il espérait tout de même que ce jour arrive rapidement… Sa femme transplana alors devant eux, l’air furieux.
« Jane, ça va ?
- Non ! Je hais ce boulot. Je n’ai jamais voulu être secrétaire ! Je voulais travailler dans un vrai bureau, comme toi !
- Oh, tu sais, le département des Sports… »

[Juin 1994]
« Rachel, Edmund… Voici vos frères, Klaus et Kyle. »
Rachel se pencha au-dessus du berceau qui abritait les deux nouveaux nés, émerveillée. Deux si petites choses… Elle passa son doigt sur la main de Kyle – ou peut-être était-ce Klaus ? – qui attrapa son doigt tout doucement. Ils étaient adorables…
[Septembre 1995]
« MAIS C’EST QUOI CE – KYLE ! KLAUS ! ED ! »
Rachel était entrée dans une fureur noire. Des têtes d’oiseau. Dans ses bottes préférées ! Ils allaient lui payer. Les trois garnements rappliquèrent tous calmes, un sourire innocent accroché aux lèvres.
« Vous avez de la chance que les parents soient dans le salon parce que sinon… »

[Décembre 1995]
Ce soir-là, le temps avait manqué à la famille et la mère de Rachel avait dû ouvrir une boîte de conserve de Chili Con Carne. Les jumeaux avaient leur plat tout prêt pour enfants, les deux plus grands et les adultes se partagèrent donc le plat mexicain. Ce qui ne semblait pas du tout au goût d’Ed qui refusa de ne mettre ne serait-ce qu’un haricot rouge dans sa bouche.
« Tu me forceras pas à en manger ! C’est du caca ! »
A la même seconde, Rachel glissait une fourchette dans sa bouche. Qu’elle vomit presque immédiatement, tant devant l’odeur que devant le goût infâme du produit qu’elle venait d’ingérer. Elle vit avec horreur que le contenu de son assiette s’était littéralement métamorphosé en… bouse. Et les jumeaux décidèrent que c’était le moment parfait pour envoyer valser leurs assiettes. Bref, une soirée parfaite…

[Janvier 1996]
Rachel entra avec appréhension dans la salle de bains, intriguée par le bruit étrange, une espèce de frottement contre le mur mitoyen de sa chambre. Un coup d’œil dans la pièce carrelée lui suffit à comprendre que le bruit venait de l’armoire à pharmacie. Elle s’en approcha lentement, posa une main légèrement tremblotante sur la poignée, et la tira doucement.
Une chose énorme, noire, aux griffes – ou aux dents, elle ne le saurait jamais dans l’agitation – acérées, au corps velu et aux ailes démesurées lui sauta au visage alors que la jeune fille poussa un cri strident, tombant à la renverse, la nuque droit sur le rebord de la baignoire.
Mais, au lieu que le pire ne se produise, elle atterrit en douceur, comme sur un coussin, et la créature – une chauve-souris, c’était une chauve-souris – l’attaquait sans l’atteindre. L’animal terrorisé finit par aller se percher dans un coin sombre, à l’opposé de la pièce. Au même moment, les parents rappliquèrent, alertés par les cris de leur fille, suivis par ses trois frères, qui avaient un air innocent un peu trop innocent peint sur leur visage.
Quand Rachel eût raconté l’événement à ses parents, ils comprirent alors qu’elle avait elle aussi un don magique, mais qu’il avait simplement tardé à se manifester.

[Juin 1996]
« C’est ma lettre pour Poudlard !? »
Rachel sauta littéralement jusqu’à la cuisine pour montrer l’enveloppe parcheminée adressée à son attention à sa mère. Enfin !
« Il faut aller acheter les fournitures, il faut aller acheter les fournitures, il faut aller acheter les fournitures ! Papa ! Regarde ! »
Les parents la couvèrent d’un regard attendri. Depuis le début de l’année, et l’incident de la salle de bains, elle guettait tous les jours le courrier, attendant cette lettre…

[Novembre 1997]
Harry Potter, qu’il s’appelait. Elle en avait déjà entendu parler, par ses parents, mais le voir en vrai, c’était différent. Et beaucoup moins impressionnant que tout ce qu’elle avait pu imaginer. C’était un garçon banal, avec une faculté à s’attirer des ennuis.
« Rachel, tu fais tomber de la confiture sur ton uniforme. »
Ladite Rachel cligna des yeux, décrochant son regard du Trio d’Or, en pleine conversation top secrète, comme à leur habitude, et admira la jolie tâche de confiture à la framboise sur sa chemise blanche. Crotte.

[Mai 1997]
Des bruits incroyables et des cris tirèrent brusquement Rachel et tous ses camarades de dortoir de leur sommeil.
« Dumbledore est mort, c’est la guerre en bas ! »
Le temps d’assimiler la phrase, de s’habiller en vitesse et de rejoindre ses compatriotes, et déjà qu’on les escortait retrouver tous les premières, deuxièmes, et troisièmes années dans un endroit sûr. Rachel eut le temps de voir à travers le parc la cabane du garde-chasse Hagrid en flamme, puis elle n’eut plus le temps de réfléchir devant la rapidité des événements.

[Septembre 1997]
« Je sais que tu ne veux pas y aller, Rachel, mais ça se passera bien, je te le promets… »
La boule au ventre, la jeune fille entra dans le Poudlard Express le plus lentement possible, espérant qu’une barrière invisible se dresse entre elle et la porte d’accès.
« Donne-nous des nouvelles, ma chérie. »

[Décembre 1997]
C’était le pire anniversaire de sa vie. En retenue, comme le reste de sa maison pour des motifs plus ou moins injustifiés, elle nettoyait le sol de la salle de Potions, avec pour seul encouragement les coups des Carrow, deux grandes armoires à glace avec le cerveau au bout de leurs poings.

[Mai 1998]
Enfermée dans la Salle sur Demande avec les autres partisans du Bien, seul endroit sûr de l’école, elle remonta ses genoux et posa son visage dessus. Du sommeil…
« Harry Potter ! C’est Harry Potter ! »
Elle redressa subitement le visage à l’annonce. Ils étaient sauvés ! Après l’explosion de joie dans la pièce, l’ambiance retomba bien vite quand tout le monde se rendit compte que son plan se résumait à « Je ne sais pas » et à « Aucune idée ».
Quelques heures plus tard, sa lutte acharnée pour rester au sein de l’école et aider à la défendre s’étant soldée par un cuisant échec, elle empruntait avec tous les élèves de son âge le passage du tableau d’Ariana pour l’évacuation vers Londres.
Allait-ce être fini ? Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom allait-il perdre la guerre ?

[Septembre 1998 – Septembre 2000]
L’école retrouva au fur et à mesure un fonctionnement normal, les couloirs bizarrement enveloppés d’un silence apaisé après cette guerre meurtrière. Rachel passait la plupart de son temps à la bibliothèque, évitant de fréquenter trop de monde, un peu effrayée d’avoir à perdre quelqu’un si une autre tragédie semblable devait se produire. Elle n’avait perdu personne ce coup-ci mais avait vu le désastre que cela provoquait chez les personnes à qui c’était arrivé.
Un livre à la main, un petit quelque chose à grignoter dans l’autre, sa baguette sortie uniquement quand c’était indispensable, c’était ce qu’elle était devenue.