Emmitouflé dans une longue écharpe en laine bleue marine, Perdo passa le pan de la porte des Serres de Botanique. Il essuya énergiquement ses bottes couvertes de neige sur le paillasson, puis referma aussitôt la porte en verre derrière lui. Il était hors de question de laisser ce froid mordant pénétrer son sanctuaire. Enfin il pouvait respirer ce bon air d'humidité, de terre et de plantes en manque cruel de soleil. La température ambiante abordait facilement les 28°C, alors c'est non sans rechigner que le professeur de Botanique se délesta de sa lourde cape et de son écharpe. Il posa une grosse boite en bois très étrange sur son bureau. Celle-ci était haute comme trois pommes, sertie de joyaux et d'or. Sur le couvercle était gravé quelques runes, et peint une illustration particulière. L'univers sans doute, ou de simples astres. Ceux-ci bougeaient d'une lenteur intemporelle, si bien qu'il arrivait parfois au professeur de rester quelques instants, immobile, à contempler cet étrange phénomène. Cette boite, mystérieuse et des plus étrange, était bien entendu scellée par un enchantement féroce. Si bien que Pedro n'y accorda plus vraiment d'importance. On lui avait filé cet objet unique à Pré-Au-Lard, par le biais d'un sorcier suspicieux à l'accent nordique fort prononcé. Il n'avait pas bien vu son visage, mais avait bu ses paroles comme de l'hydromel.

Pedro secoua sa tête, se débarrassa de son pull d'un gris triste pour se retrouver en Marcel. Il faisait bien trop chaud et trop humide pour rester vêtu de ses lourds habits d'hiver. De toute façon, aucun élève ne viendrait le déranger à une heure aussi tardive. Ils étaient tous en train de diner dans la Grande Salle. La nuit était tombée depuis bien longtemps et rare était les élèves qui s'aventuraient le soir, pendant l'heure du souper. Du moins c'est ce qu'il croyait. Le professeur de Botanique avait totalement omis le rendez-vous prononcé quelques jours plus tôt, à Shae son élève favorite. Il essayait toujours de garder ses distance avec la jeune Serdaigle, ne voulant pas montrer clairement l'attrait qu'il avait pour elle, mais visiblement il n'y parvenait pas. Cette fille, aurait pu être la sienne en réfléchissant. Presque, pas totalement ... Mais il voyait en elle un potentiel, et leur relation depuis qu'il avait posé les pieds à Poudlard était des plus étrange. On aurait su dire qui jouait quel jeu, mais là n'était pas la question. Pedro aimait bien Shae dans le bon sens du terme. Si elle avait eu quelques années de plus, elle aurait pu être une bonne amie, une confidente ...

Enfin débarrassé de ses vêtements d'hiver, Pedro se dirigea vers les nombreux bacs à Geranium dentus et Souches de Snargalouf avec un petit sac de terreaux et quelques fioles fragiles. Sur toute la rangée de gauche se tenait quelques plantes d'Andromèle, d'Asphodèle, quelques Mandragores, des Aconits et un tas d'autres plantes que le professeur de Potions avait soigneusement demandé à Pedro de surveiller cet hiver. C'est avec précaution et un amour certain, que Pedro dorlotait ses magnifiques plants. Mais bien entendu, celles qui préféraient se trouvaient tout au fond de la serre. Il passa dans un nuage de buée et de gouttelettes volantes pour disparaitre dans d'immense fougères et plantes s’élançant sur plusieurs mètres de haut. Les plantes carnivores. Une liane noueuse s'enroula autour de son biceps gauche, alors qu'il versait délicatement un terreau riche en veracrasse au pied d'une Tueuse Bergolite.

- Hola mi guapa, cómo esto va hoy ?

La liane resserra son étreinte sur le bras du professeur, mais Pedro continuait à nourrir la plante carnivore comme si de rien n'était. Visiblement, le terreau ne lui convenait pas, car une fleur gigantesque d'un violet vif apparut d'entre les fougères. Sa couleur était magnifique et son air innocent de tulipe se mouvait tel un serpent devant les yeux émerveillés de Pedro. Quand soudain, ses pétales s'ouvrirent pour laisser place à une gueule béante couverte d'une centaine de petites aiguilles. Une langues rapeuse et rose couverte d'une substance visqueuse vint léger le visage du professeur. Légèrement écœuré par l'odeur pestilentielle que dégageait la plante, Pedro recula d'un pas vers les étagères.

- Ca va j'ai compris, t'en a marre du terreau !

Il sortit sa baguette magique (vu qu'il ne pouvait plus bouger à cause de la liane qui manquait de lui sectionner le bras) et la pointa vers les étagères. Un large bocal flotta dans les airs et se dirigea droit vers la gueule béante de la plante carnivore. Cette dernière enroula sa langue montreuse autour du bocal et referma ses pétales d'un coup sec. Elle broya le verre dans un bruit fort désagréable et disparut dans les feuilles épaisses et luisantes. Enfin, la liane se détacha, libérant son emprise. Pedro se massa douloureusement le biceps. Celui-ci était encore couvert d'une belle marque rouge vif qui tendait vers le violet. Son sang pouvant enfin circuler, le sorcier laissa échapper quelques jurons en espagnol et se dirigea vers son atelier. Soudain, de l'air froid s'engouffra dans la serre et toutes les plantes frémir en coeur.

- LA PORTE !

Pedro sorti d'un nuage de vapeur et de gouttes d'eau pour apercevoir une forme floue derrière le verre de ses lunettes couverts de buées. C'est seulement après avoir ôté sa monture qu'il aperçu Shae vêtue de son uniforme, perdue entre un bonnet de laine et une grosse écharpe. Elle paraissait sortir tout droit de l'Alaska ou autre contré nordique. Pedro se sentait un peu mal à l'aise qu'elle le voit dans cet état, mais il se contenta de sourire alors que son visage était couvert d'un trace de terre. Il lui indiqua le bureau d'un simple geste pour qu'elle puisse se débarrasser de ses affaires.

- Je t'apporte tout de suite ce que tu es venue chercher.

La Branchiflore se trouvait dans la réserve. Il disparut le temps d'une petite minute.

La réserve était d’un bordel sans nom. Des étagères à n’en plus finir grimpaient jusqu’au plafond de verre, coupant là toute luminosité possible. Aucune plante ne siégeait en ce lieu de désolation et de poussière. Non, simplement des empilements de boites, de bocaux et de grimoires couverts de terre. Pedro jeta un bref coup d’œil vers le rayon des plantes aquatiques. Un tas de bocaux qui prenaient la poussière étaient couverts de toiles d’araignées et s’entassaient de façon improbable. Il était étonnant que tout ce bric-à-brac tienne le coup. Après un temps d’hésitation, Pedro passa son bras à travers les boites en cartons et les bocaux et ressorti immédiatement un petit sachet opaque. Lorsqu’il sorti de la réserve, Pedro tendit le sachet à la Serdaigle, un petit sourire taquin sur le visage. Dedans se trouvait une Branchiflore encore fraiche. On pouvait voir quelques gouttes d’eau sur la paroi du plastique, qui prouvait là le fonctionnement encore efficace de la respiration du végétal.

D’un coup de baguette magique, Pedro fit léviter une chemise à carreau qu’il enfila maladroitement. Enfin, il se dirigea vers un vieux robinet pour se rincer le visage, tout en écoutant les râles sans fin de son élève préférée. Il se jugea un bref instant dans le miroir brisé qui lui faisait face. Sa mine déconfite ne changeait pas de d’habitude. Sa barbe lui rongeait le visage, mais lui donnait un côté viril, d’ours mal lécher qu’il ne fallait pas trop embêter. Peut-être devrait-il la laisser pousser pour effrayer les élèves les plus turbulents et dissipés ? Il se contenta de sourire prestement, puis de pivoter les talons pour faire face à la blonde.

Elle balançait ses jambes de haut en bas, jugeant la serre plongée dans cette brume presque insupportable. On distinguait à peine la forme des plantes grimpantes qui paraissaient percer le plafond de la serre. Pedro se plaça à côté de Shae, les bras croisés. Elle avait constaté l’état de son bras et Pedro n’avait aucune raison de lui mentir. Après tout, qu’avait-elle à juger ? Ils pouvaient tout se dire. C’était étrange, mais Pedro avait cette affinité interdite avec l’élève, comme si il s’agissait là de sa propre fille, comme si elle faisait partie de son sang, de sa lignée, de son patrimoine. Bien sûr, Pedro se rendait compte qu’il n’était pas toujours franc avec elle, et peut-être un peu perturbé par le lien qui les unissait. Il lui laissait passer beaucoup trop de choses c’était évident.

Shae prenait ses aises et il espérait de tout cœur qu’elle ne s’attire pas trop d’ennuis. Car bien qu’il puisse faire tous les efforts du monde pour ne montrer aucune préférence pour la Serdaigle, Pedro n’y arrivait pas. Il n’arrivait même pas à la saquer sur les notes … Enfin, qu’importe personne n’avait à juger les sentiments particuliers qu’ils échangeaient. Il lui desserra la cravate un peu plus, puis lui ébouriffa les cheveux. Sans répondre à sa question, le professeur recula de quelques pas, les bras écartés.

« Enlève-moi tout cet atirail jeune demoiselle ! Mets-toi à l’aise, sinon tu vas te choper un mauvais rhume en sortant ! »

Il se retourna pour rafraichir les feuilles des Géraniums Dentus qui faisaient triste mine. Enfin, enfin seulement, Pedro se résigna à répondre à la jeune demoiselle.

« C’est juste un Ragreum Carnivore qui m’a un peu embêté. C’est une plante féroce ce truc. Je l’ai trouvé en Amazonie y’a deux ans et je ne pensais pas qu’il prendrait une telle ampleur. Il m’a complètement anéanti mon Filet du Diable ! Du coup, je l’ai remonté dans la serre. Mais il est de plus en plus gourmand. »

Enfin, Shae était à l’aise et Pedro ne put s’empêcher de lui accorder un sourire ravageur. La jeune demoiselle se tenait devant lui et ses cheveux frisaient légèrement avec toute l’humidité ambiante. Pedro la trouvait encore plus ravissante avec ses petites joues toutes roses. Il aurait presque pu la prendre pour un bébé Snargalourf (sa plante favorite).

« Désolé pour la température, mais la plupart des plantes qui se trouvent dans cette pièce viennent des tropiques. Du coup, l’hiver d’Ecosse ça ne leur convient pas trop. Mais au moins ça te débouchera les pores ! Alors ma petite Shae, es-tu intéressée par une plante tout particulièrement diabolique ? » dit-il avec un amusement d’un adolescent.

Pedro se frotta vigoureusement les mains et indiqua un petit chemin à travers deux rangés de plantes d’un volume impressionnant. Tout en lui tenant les épaules, Pedro la dirigea vers le fond de la serre. Derrière eux, le bureau et les tables de cours avaient disparu dans un épais massif de fleurs et de feuilles. Les plantes grimpantes et les fougères géantes formaient une véritable jungle. Enfin, là, se tenait un magnifique bourgeon orange vif qui ronronnait docilement. Il faisait bien deux à trois mètres de haut. Accroché au mur de vitre, ses racines noueuses s’enfonçaient profondément dans le sol. Ses branches épineuses grimpaient le long du mur et dessinaient des formes étranges, peu rassurantes. Le bourgeon respirait doucement, à rythme régulier. Une multitude de gouttes d’une couleur ambrée circulaient en orbite tout autour de lui. Elles glissaient de temps en temps contre sa paroi rugueuse et épaisse, pour finalement reprendre leur route dans l’air saturé d’humidité. Pedro transpirait à grosses gouttes. Ses cheveux foncés bouclaient sur son front. Il approcha ses lèvres près des oreilles de la Serdaigle et lui dit d’une voix douce.

« Voici la terreur des plantes. Le maitre de ces lieux. Cette plante en a fait perdre plus d’un dans une bataille. Elle est hors programme, mais je pense qu’elle peut te plaire. »

A vrai dire, Pedro était un peu plus fier de ce qu’il venait de montrer. Même si cette plante était d’une beauté particulière et d’une dangerosité à couper le souffle, il n’en démordait pas à l’idée d’en montrer d’avantage. La jeune fille n’était pas venue pour inspecter la serre de fond en comble, mais Pedro aimait lui montrer ses nouveautés. Depuis le début de la rentrée, c’était principalement des plantes carnivores qui défilaient sous le nez de la Serdaigle. Peut-être quelques plantes toxiques sans grand intérêt ou encore dans plantes aux propriétés rares et coûteuses. Mais aujourd’hui, c’était le bouquet. Il n’y avait pas plus énorme, pas plus dangereux et coriace que ce mastodonte. Pedro lâcha enfin les épaules de son élève et se dirigea d’un pas lent et assuré vers la bête endormie. Il savait qu’à tout moment cette dernière pouvait agir de manière totalement aléatoire. Il n’avait aucune confiance en ce bourgeon d’allure inoffensif. Après tout chaque plante avait son caractère et les plantes carnivores étaient particulièrement lunatiques.

Un sourire torve se dessina sur son visage et ses yeux d’un bleu profond parcoururent l’énorme bourgeon. Il voulait être bien sûr de ne courir aucun risque. Le filet du Diable lui avait donné du fil à retordre la semaine dernière à cause de ce dernier, alors il n’était pas franchement sûr d’assurer la sécurité de sa favorite. Mais il n’en laissait pourtant rien échapper, pas l’ombre d’un doute ou d’une tergiversation quelconque. Il se contenta de sourire et d’épousseter sa chemise à carreaux que Shae ne pouvait s’empêcher de regarder avec un certain dégout. Il faut dire que Pedro ne s’embêtait pas avec son apparence. Les mains dans la terre à longueur de journée, il n’allait pas commencer à porter des vêtements tendance pour le plus grand plaisir de ses convives.
Quelques gouttes couleur ambre virent s’écraser sur sa nuque. Une vague de frissons lui parcourut l’échine en quelques instants après l’impact. Ces gouttes n’étaient autres que de la sève du bulbe et se montraient particulièrement désagréable au contact d’un humain. A croire qu’une armée de petites aiguilles circulaient à présent dans ses veines. Pedro se frotta énergiquement les avant-bras, avant de prendre la parole.

« Je te déconseille d’avancer Shae, je ne sais pas comment peu réagir cette plante. Je l’ai reçu la semaine dernière, elle n’était pas bien grande. En fait, elle tenait dans le creux de ma main. C’est un Scandinave qui me l’a donné en échange de … enfin bref, il m’a simplement dit que cette plante était d’une rareté révoltante. On l’appelle la gardienne des enfers. Ou la plante d’Hadès. Elle est un peu l’équivalent du Cerbère le chien à trois têtes si tu veux mon avis. »

Il se retourna et pointa le bout de sa baguette magique vers le bourgeon orange, qui se soulevait à rythme régulier. La situation paraissait des plus tranquilles, mais Pedro n’avait aucune, absolument aucune confiance en ce démon fait de feuilles et de ronces. Ses longues lianes grimpantes étaient serties de piques et gonflaient sous la pulsion de sève. On aurait presque crut qu’en dessous de tout ce tissu végétal se nichait un véritable cœur sur le point d’exploser. Pedro passa une main dans ses cheveux humides, puis laissa échapper un long soupire avant de reprendre la parole.

« Bien sûr que cette plante est dangereuse et certainement interdite à l’utilisation. Mais McGonagall m’a autorisé à l’étudier. On ne connait pas bien son comportement et il faut croire que Poudlard a assez de place pour recueillir cette bête. En plus d’être féroce en tout point, elle possède un venin paralysant qui fut utilisé jadis dans la guerre contre les géants. Sur un humain comme nous, une petite dose peut être mortelle. Ça ne m’étonnerait même pas que Voldemort en ai fait usage dans son passé. M’enfin, ce venin coûte extrêmement cher ! »

Pedro fit signe à Shae de s’approche avec précaution. Sur le sol de la serre, les racines noueuses de la plante s’étalaient sur une surface impressionnante. Elles étaient si grosses et si épaisses, qu’elles avaient défoncés les dalles pour s’enfoncer à plusieurs mètres sous terre. On voyait là aussi, la pulsion régulière de la sève remonter jusqu’au bourgeon. Alors que Shae rejoignait le professeur de Botanique, les lianes grimpantes commencèrent à se bouger tranquillement, tels des serpents remontant le mur de verre. Les longues épines ressemblaient à de petits poils urticants qui dansaient au rythme d’une musique inaudible. Pedro jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Quelque chose n’allait pas.

Soudain le bourgeon s’ouvrit et de grosses lianes couvertes d’épines noires et sanglantes jaillirent de son cœur. Elles claquaient dans l’air comme de grands fouets. Bien plus impressionnantes qu’un Snargalouf en colère. Elles gesticulaient si vite que Pedro en perdait le fil. Visiblement le bourgeon venait de se réveiller d’un sommeil bien moins paisible que l’aurait pensé le botaniste. Sur les pétales orange du bourgeon se dressaient des pics blancs couverts d’une viscosité dérangeante. Une odeur de pourriture fripa le nez de Pedro et une longue langue râpeuse sortie d’entre les lianes, tel un serpent aveugle cherchant sa proie. Les lianes s’abattirent sur les deux sorciers.

« Protego ! »

Au même instant une bulle transparente de protection apparue et les lianes s’écrasèrent contre la paroi dans un bruit sourd. Pedro posa une main sur l’épaule de Shae la forçant à reculer. Visiblement elle était un peu trop absorbée par le spectacle époustouflant qu’offrait ce géant de plante. Le bourgeon émanait des effluves étranges qui selon Pedro, envoutait ses proies. Etaient-ils le futur festin de cette plante démoniaque ? Peut-être bien. Les lianes continuaient à s’abattre sur les deux individus, ne lésinant pas à percuter les pots en terre cuite et les étagères environnantes. Si la plante continuait à être aussi féroce, elle allait lui démonter toute sa serre. Alors qu’elle s’attaquait aux carreaux des murs, Pedro tenta à plusieurs reprises de calmer la fureur du bourgeon. Mais visiblement les mots ne suffisaient pas.

«Pertificus totalus ! »

En un battement de cils seulement, la plante s’immobilisa. Ses lianes couvertes d’épines noires étaient totalement immobiles mais gardaient une présence agressive et terrifiante. La gueule du monstre était toujours ouverte et la langue rugueuse s’était figée dans le temps. Pedro n’était pas certain que son sortilège soit vraiment efficace. Après tout, ce genre de plantes était réputé pour avoir une bonne résistance à la magie, un peu comme le Saule Cogneur.

Mais pour calmer définitivement le bourgeon, Pedro devant passer entre toutes ces lianes figée dans l’espace-temps, pour se rendre jusqu’à l’étagère démolie et y trouver un sérum puissant. Une fois le sérum planté dans la gueule du truc, il pouvait avoir l’esprit tranquille.

« Bon faut que j’aille récupérer le sérum là bas. Tu restes ici et tu ne bouges surtout pas. S’il m’arrive un truc, appelle un professeur. Je n’ai vraiment pas envie que tu te blesses. »

Pedro lui passa une main sur le visage et la considéra un instant, un sourire s’illuminant sur son visage triste.

« Et ne me sort pas qu’avec un accio ça serait plus simple … j’ai envouté tout mon équipement pour ne pas que des étudiants louches dans ton genre viennent me piller ma serre. » dit-il d’un air moqueur.

Enfin, sous les jurons et les protestations de sa chère Shae, Pedro traversa les lianes le cœur battant. Il n’avait pas du tout confiance et ne savait pas si son idée était la plus stupide du moment. Après tout … les plantes carnivores étaient douées pour la simulation.

Alors qu’il baissait la tête pour éviter l’une des lianes les plus imposantes, Pedro se demandait pour la énième fois si son action n’était pas tout simplement suicidaire. Shae avait raison, cet homme du Nord lui avait refourgué un cadeau empoisonné. Avait-il été aussi stupide qu’Hagrid en acceptant ce bourgeon ? Pourtant il l’avait certifié que cette plante l’aiderait dans ses investigations. Pedro repensait à la boite étrange qui se trouvait sur son bureau. Peut-être existait-il un lien entre la gardienne des enfers et le contenu de cette mystérieuse boite ? Mais il n’avait pas encore osé faire le moindre test et de toute évidence, il ne savait pas comment ouvrir cette boite. Elle ne répondait à aucun sortilège ou maléfice et il n’existait aucune clé à sa connaissance. Alors que Pedro prenait grand soin de ne pas réveiller la plante carnivore de sa torpeur, Shae s’étala de tout son long dans un bruit chaotique. Bien entendu, la Serdaigle laissa échapper une flopée de jurons. Pedro grinça des dents et se retourna lentement vers Shae la fusillant du regard. Par tous les tentacules du calamar géant, pourquoi ne pouvait-elle pas rester en place ? Ou tout simplement écouter les ordres qu’on lui donnait ? C’était trop lui demander visiblement.

Même si l’envie de lui jeter tout un sermon au visage le démangeait affreusement, il n’eut pas le temps de répliquer quoique ce soit. Les énormes lianes de la plante bougèrent frénétiquement, claquant comme des fouets. Le bruit était assourdissant et trop pénible pour ne pas réagir. Pedro ne voulait pas l’abimer. Un sortilège de pétrification ne servait visiblement à rien, car il avait à peine enjambé la moitié des racines noueuse du bourgeon. Il aurait pu se jeter en avant, délaissant Shae au sol, seule face à la violence des coups de cette maudite plante. Mais il était son professeur avant tout et devait garder sa sécurité. Il ne pouvait pas se permettre que la Serdaigle en ressorte avec la moindre égratignure. Après tout, que lui dirait McGonagall ? Qu’il était irresponsable de montrer une telle machine de guerre à une étudiante de premier cycle. Et Pedro imaginait la scène assez facilement. Un renvoi à Londres avec la mine la plus déconfite du monde. Bien que Voldemort ne soit plus (du moins il l’espérait comme tout le monde), Pedro ne se voyait pas revivre une vie d’ermite. Il ne se voyait pas passer une seconde fois le pallier de la porte misérable de son petit appartement Londonien. Sa vie était à Poudlard à présent et l’enseignement, à son plus grand étonnement, lui plaisait. Même si Pedro n’était pas le genre de professeur que tous les élèves appréciait, il n’en restait pas du moins quelqu’un de performant et de qualifié.

Bien sûr, les plantes qu’il montrait à Shae étaient hors programme, mais il voulait que la gamine sache ce qui pouvait l’attendre en dehors des murs de l’école. La vie d’un sorcier n’est pas de tout repos. Même si le Ministère de la Magie recensait le maximum de plantes ou d’animaux dangereux pour éviter tout accident mortel, il en existait bien trop pour avoir un contrôle permanant. Heureux étaient les moldus, songeait Pedro. L’ignorance du monde magique était certainement une source de confort.

Le professeur de Botanique balança la tête en arrière lorsqu’une liane épineuse vint le frapper en plein visage. Il l’avait évité de justesse. Shae se relevait péniblement. Les racines noueuses au sol bougeaient de façon très étrange, rendant le sol muable. Pedro peinait à garder l’équilibre, mais usa de toutes ses forces pour garder une attitude de combattant, de supériorité et bien entendu de professeur. La plante ne devait pas sentir la crainte de son maitre, sinon cette histoire était foutue d’avance. Pedro pointa sa baguette vers Shae, alors que les racines sortaient de terre pour s’enrouler autour des membres de la sorcière.

« Diffindo ! »

Même s’il n’avait pas souhaité blesser son bébé d’amour au premier abord, il n’avait pas le choix de faire autrement s’il voulait sauvegarder la grâce de son élève. Il aurait été trop bête que Shae se fasse taillader le visage à coup d’épines à la fleur de l’âge. Non, elle méritait encore de belles années. Les bouts de racines tombèrent mollement sur le sol et gigotèrent péniblement telles des larves, quelques instants. Shae pouvait enfin se lever et user de sa baguette pour contrer les coups du bourgeon. Voyant la férocité qu’elle mettait dans ses sorts, Pedro dû intervenir avant qu’elle ne déclenche une catastrophe.

« N’attaque pas le Bourgeon, juste les lianes. Empêche juste les lianes de t’atteindre ! »

Tandis que les lianes continuaient à s’abattre avec vélocité sur les deux protagonistes, Pedro s’évertua à s’avancer de manière pénible vers le sérum. Il n’était plus qu’à quelques bras de distance. La chaleur étouffante lui tournait la tête, et les actions à répétition devenaient bien pénibles. Alors qu’il repoussait une énième fois la branche épineuse qui se courba de douleur sous un sortilège cuisant, Pedro se jeta sur les multiples fioles qui jonchaient le sol. Il chercha de manière frénétique une étiquette indiquant le produit exacte permettant de calmer une bonne fois pour toute la gardienne des enfers, mais toutes les fioles se ressemblaient. Il pesta un coup et se roula sur le côté, lorsque Shae lui cria de se retourner. Une liane solide venait de s’écraser à quelques centimètres de son visage. Son cœur battait la chamade et ses sourcils froncés montraient clairement son agacement. L’envie d’envoyer un sortilège de déflagration sur le bourgeon tout entier lui tordait les tripes. Mais il se contient de faire une connerie pareille.

« Reducto ! »

Sous l’effet du sortilège, la deuxième tentative du bourgeon pour achever le professeur fut vaine. Le branche épineuse se rétracta pour s’engouffrer subitement dans la gueule béante du monstre. Un sourire cannibale se dessina sur le visage ruisselant du professeur. Il se retourna aussitôt vers les fioles et trouva enfin le sérum. Alors qu’il tentait de se relever, deux racines épaisses s’enroulèrent autour de sa jambe pour le trainer vers la gueule massive de la plante carnivore. L’odeur fétide que dégageait la plante lui donnait le tournis. Pedro jeta un tas de sortilèges à répétition sur les épaisses racines, mais rien n’y faisait, elles étaient drôlement solides, à croire qu’elles résistaient à la magie.

« Shae la hache derrière toi, vite ! »

Soudain, Pedro sentit son corps se soulever dans les airs. La tête en bas, les pieds en haut, il jetait des coups de plus en plus rapides sur le bourgeon et sur les racines afin de retarder le moment fatidique. Il n’était plus qu’une simple proie, prise au piège dans les mailles d’une araignée affamée. Quelque chose clochait. Le bourgeon ne réagissait pas comme d’habitude. Il ne reconnaissait plus son maitre, il le prenait pour de la bouffe. Un simple morceau de viande qui gesticulait au bout de ses tentacules solides. Pedro se tordait dans tous les sens. Les lianes se resserraient contre sa jambe si fort, qu’il avait l’impression que celle-ci allait bientôt céder. Il priait simplement pour que Shae se saisisse rapidement de la hache et qu’elle coupe cette maudite racine.
Shae venait tout juste de trouver la hache (qui se trouvait sous l’ombre d’une énorme fougère), et une liane épineuse, particulièrement tordue fonça droit sur elle.

« Expulso ! »

La liane se prit un méchant coup dans la tronche se fut projeté plusieurs mètres plus loin. Ainsi, Shae avait tout un champ d’action pour réagir au plus vite. La langue de l’immondice créature léchait goulûment le visage de Pedro. Il se retint de ne pas rendre tout son repas, tant l’odeur était nauséabonde et la consistance de la bave gluante sur sa joue très désagréable. Le bourgeon s’amusait avec sa proie…

CRAC ! Un bruit sonore, la liane épaisse qui cède et Pedro qui tombe lourdement sur le dos. Les vertèbres qui craquent, les muscles perclus d’ankyloses et le cœur battant à tout rompre, le professeur se relève péniblement du sol. Couvert de poussière, de sueur et sale jusqu’aux pointes de ses boucles brunes, il ressemble à un véritable aventurier des temples anciens. Enfin sur pieds, Pedro se retourne vélocement, sans pour autant prendre en considération tout ce que vient de lui dire Shae. Les râles de la Serdaigle se dissipent dans la brume, tel un têtard dans la vase. La baguette dans la main droite, le sérum dans la main gauche, Pédro s’avance droit vers la gueule béante de la gardienne des enfers. Elle hurle d’un cri strident et visiblement elle n’apprécie pas l’accueil désagréable que ses proies lui ont accordé. Jeter le sérum dans la bouche de la plante aurait pu être un solution, mais bien trop peu efficace. En toute logique, Pedro devait grimper sur le dos du bourgeon et briser la fiole sur la paroi lisse et molle de la plante. Cette tentative était tout simplement suicidaire. C’est pour cela qu’il n’en pipa mot à Shae. Il était sûr qu’elle allait agir bêtement, lui brisant le maigre élan de courage qu’il possédait.

Il resserra ses phalanges sur la fiole, si fort qu’il crut entendre le verre se briser. D’un bond surréaliste, le professeur s’élança vers le bourgeon qui lâcha un cri strident et horrifiant. Pedro n’entendit pas le tas de jurons que son élève proliférait. Une liane fusa à quelques centimètres de son oreille. Des lianes plus fines lui cinglèrent le visage, comme si mille petites aiguilles lui pénétraient la tête toute entière. Il esquiva deux, trois coups, puis se plaça à gauche du bourgeon, là où la langue râpeuse ne pouvait pas l’atteindre. Mais les racines de l’immonde créature paraissaient plus intelligentes. Elles se mouvaient dans une danse endiablée pour atteindre les jambes de Pedro. Alors qu’elles fusèrent dans sa direction, le professeur grimpa dans un élan aberrant sur le bourgeon. Shae était en bas en train de battre le vent de ses bras. Il n’écoutait pas, trop concentré sur sa tâche. Il espérait que la colère infuserait dans ses veines quelques gouttes d’adrénaline supplémentaires, juste de quoi lui permettre d’atteindre la surface molle de la plante. Les petites lianes étaient aussi pénibles qu’une armée de moucherons une soirée d’été particulièrement chaud. Perdo battait des bras, donnant des coups si féroces qu’il crut bien se déboiter l’épaule à plusieurs reprises. Alors que les racines grimpaient pour attraper le pied de Pedro, le professeur déboucha la fiole à l’aide de ses dents.

En bas, Shae s’était enfin résignée à jeter des sorts sur les racines, permettant au sorcier de mettre un terme à tout ce cinéma. D’un geste brusque, Pedro versa le contenu entier de la fiole sur la partie molle du bourgeon et l’étala à grands coups de poings. Aussitôt, le bourgeon se referma, les racines plongèrent sous terre et les lianes se rétractèrent pour finalement disparaitre. Pedro, lui, continuait à marteler la plante de coups de poings. Les veines de ses avants bras étaient saillantes, ses yeux étaient amplis de colère et de frustration. Il continuait à frapper jusqu’à bout de souffle. Enfin … enfin ils avaient réussi à vaincre ce mastodonte. Il n’était plus qu’un soufflet de forge aspirant l’air à grand bruit. Les autres plantes se cachaient benoitement entre les fougères épaisses en voyant la scène du grand maitre botaniste, frappant à grands coups la reine des reines. Enfin, il se laissa glisser sur la paroi gluante du bourgeon et retomba sur ses pieds. Il hasardait Shae sans rien dire. Sans émettre le moindre souffle.

Elle gesticulait devant lui, folle de rage bien évidemment, et lui se contentait d’afficher une grimace acrimonieuse. C’en était presque drolatique ! Pedro jeta d’un geste nonchalant sa chemise devenue poisseuse et gluante, puis se passa les mains sur le visage. Il n’avait plus vécu une pareille scène depuis l’âge de ses 26 ans. C’était tout simplement incroyable. Sans prononcer la moindre parole, il se dirigea vers son bureau à grands pas. Shae le suivait comme son ombre, tout en lui posant un tas de questions. Qu’allait-il faire à présent ? Certainement pas prendre une douche. Ni moins envoyer la Serdaigle à l’infirmerie. Il souleva les capes qui se trouvaient sur le bureau et posa sous le nez de Shae la mystérieuse boite du Scandinave.

« Je pense que cette boite et cette plante sont reliés. Si j’arrivais à percer le mystère de cette boite, peut-être que j’arriverai à dompter cette plante ? Ca fait plusieurs fois qu’elle me fait le coup … même si là, elle devait être jalouse par ta présence. » dit-il comme si la terrible scène qu’ils venaient de vivre n’était qu’une formalité pour le professeur.

Il attrapa un petit arrosoir qu’il remplit à l’aide d’un agaumenti et se contenta d’aller rafraichir quelques Aconit tue loup. Tout cela sans décrocher son regard de la boite qui lévitait dans les airs.

« Il doit bien y avoir un grimoire à la bibliothèque sur les objets magiques nordiques non ? Shae ça ne te dirait pas d’aller y jeter un coup d’œil pour la prochaine fois ? Je suis vraiment débordé en ce moment avec la culture que m’a demandé ton professeur de Potions. »

C’est seulement maintenant qu’il remarquait le visage courroucé de la demoiselle. Visiblement, elle n’avait pas vécu la situation avec les mêmes émotions que son professeur. Etait-il fou ou simplement idiot ? Pedro se contenta de sourire comme à son habitude. Un sourire triste, dont la grisaille gagnait peu à peu son visage tout entier.

« Désolé. Je ne pensais sincèrement pas que le bourgeon allait agir ainsi. Battre ses lianes oui, mais de là à nous agresser … tu ne m’en veux pas pour ça j’espère ? »

Shae était avide de sensations fortes, d’expériences en tout genre, alors elle n’allait pas faire sa mijaurée pour un bref accident. Non, ce n’était pas son style, sa façon de faire et c’est bien pour ça qu’il l’appréciait plus que tous les autres. Shae était une dure à cuir, une mordue, une sale gamine au tempérament de feu. Même si elle en voulait à Pedro sur le coup, il était convaincu qu’au fond, elle lui pardonnerait bien vite.

« Regarde cette boite et dis moi ce que tu en penses. »

Traumatiser Pedro ? Il en faudrait beaucoup plus qu’une Shae en furie. Non, l’homme restait impassible face aux remarques désobligeantes de son élève. Il aurait pu sévir, lui demander de quitter la serre sur le champ ou même porter un rapport à McGonagall. Il aurait pu se montrer cruel ou tout simplement se comporter comme un professeur normal. Mais Pedro n’avait pas l’âme d’un professeur. Certes il enseigné dans une école réputée, une école qui accueillait l’élite sorcière, mais il n’avait pas l’âme de l’enseignement et ne l’aurait probablement jamais. C’est peut-être pour cela qu’il ne comprenait pas toujours le concept élève/prof. C’était une notion trop abstraite pour son cerveau de chercheur. Il avait bien entendu demandé de nombreux conseils à Damon ou à Stigrand, mais les appliquer était une autre paire de manche. Et puis de toute évidence, Pedro ne pouvait pas sévir Shae. C’était contre sa nature. Une belle jeune fille comme elle ? Non, visiblement il avait trop de mal. Peut-être là son plus grand défaut, sans doute pour cela qu’il évitait tout contact avec la beauté et la grâce que dégageait la gente féminine. La fleur empoisonnée comme il aimait si bien le dire.

Comprenant que Shae méritait toute son attention, Pedro se jurait dans son for intérieur de faire plus d’efforts. Mais ce n’était pas évident, vu que son attention était bien plus accaparée par les plantes que par une humaine. Hé oui, pour lui les plantes avaient visiblement une présence plus forte que les humains. Non pas qu’il remettait en cause la nature humaine ou quoique ce soit du genre, mais Pedro éprouvait une passion folle pour ces êtres chlorophylliens. N’y avait-il rien de plus merveilleux qu’une plante en pleine photosynthèse ? Se nourrir des rayons du soleil, d’eau et des ions minéraux … aucun gâchis, aucun rejet toxique. Elles prenaient tout le surplus de CO2 causé par l’homme, pour finalement le rejeter et purifier l’air en O2. N’était-ce pas là extraordinaire ? Mais bien sûr, l’Homme s’en fichait.

On ne pense plus, on ne remercie plus. C’est que lorsque l’on tombe malade qu’on se dit que finalement être en bonne santé est une chose que l’on devrait remercier tous les matins. La banalité des choses vous plonge dans l’irrespect total de la vie. Mais on se fatiguerait bien vite à remercier tout ce qui se trouve autour de nous, n’est-ce pas ? Après un bref moment d’absence, chose qui devait encore irriter Shae, Pedro posa les yeux sur l’énorme manuel qui venait de tomber entre ses mains. Un manuel scolaire d’étude des Runes. Le professeur de Botanique n’avait jamais apprécié la matière en question durant sa jeunesse et n’avait jamais eu besoin d’utiliser ses maigres connaissances jusqu’à ce jour. Peut-être replonger le nez dans ce tas de gribouillis n’était pas une mauvaise chose ?

- Déjà, on va tenter de percer le secret des runes, voir à quoi elles servent. Contenir ou protéger ? Ensuite, je pense que le mécanisme d'ouverture peut se cacher dans les pierres précieuses, c'est un truc vieux comme le monde, les moldus l'utilisent... Ou alors, l'énigme est plus complexe. Il faut qu'on voit ça. Tu veux qu'on fasse ça maintenant ?

Il haussa un sourcil perplexe, puis se contenta de sourire. Un sourire franc et sincère cette fois-ci, chose qui redonnait un peu plus d’éclat à son visage. Le professeur se contenta de lorgner la boite d’un œil inquisiteur, observant chaque pierre précieuse. Il n’avait jamais pensé que le mécanisme d’ouverture pouvait s’ouvrir avec ça. C’était une idée de génie et Shae méritait qu’il l’embrasse sur les deux joues pour ça. Mais Pedro s’abstint, se contentant tout bonnement de hausser les épaules.

« Oui, ça m’arrangerait de découvrir ce que contient cette boite le plus vite possible. »

La nuit était tombée depuis longtemps, mais pourtant la soirée ne faisait que commencer. Dehors, des bourrasques de vent claquaient contre les vitres de la serre. Pedro tourna la tête en direction de la porte d’entrée, lorsqu’un bruit sourd retenti. Certainement un pot ou un tas de caisses qui venait de tomber. Une tempête se préparait et il était curieux qu’un blizzard se lève au dehors, lorsqu’à l’intérieur la température atteignait celle des tropiques.

Alors que Shae poussait sans ménagement les affaires de Pedro, elle s’étala sur la table, le bouquin de runes entre les mains. Le professeur la considéra pendant de longs instants, appréciant sans le moindre remords les courbes délicieuses de son élève. C’était mal, vraiment mal, mais il ne pouvait s’empêcher d’éprouver une certaine satisfaction quand il savait que Shae l’appréciait. Il secoua vivement la tête quand la Serdaigle lui demanda son avis sur la boite mystérieuse. Oh qu’elle devait bien rire de voir un professeur aussi peu concentré. Pire que ses camarades de classe …

Pedro se pencha sur le couvercle étrange de la boite. L’illustration du dessus n’avait pas changé. Les constellations tournaient toujours dans le même sens. Les pierres précieuses étaient réparties de façon à former une étoile à cinq branches. Les runes quant à elle étaient gravées en dessous de chaque pierre. Le professeur jeta un coup d’œil par-dessus de l’épaule de la Serdaigle. Il sentait le parfum de ses cheveux blonds, et se laissa porter dans une rêverie, jusqu’à ce que Shae le redescende sur terre avec sa voix criarde et roque. A croire qu’elle savait simplement gueuler quand elle lui adressait la parole. Pedro cligna lentement des yeux, comme si chaque battement de cil était un véritable effort.

« Ok, ok ! Alors déjà réfléchissons avant d’utiliser la magie. Là regarde, les pierres sont en forme d’étoiles et je pense que les runes indiquent quelque chose. »

Il parcourt les lignes d’un paragraphe assez rapidement, mais trouva rien qu’il lui convenait. Et puis visiblement, aucune rune ne ressemblait à celles inscrites. Il tourna les pages, manquant de fouetter le visage de Shae. Voyant qu’elle grommelait, Pedro ne put s’empêcher d’émettre un petit rire discret et de lui donner un coup d’épaule taquin. Après toutes les insultes qu’elle avait proliféré, dans un débit qui avait surpris le professeur, se faire fouetter le visage à coups de vieux parchemins n’était pas une punition sévère.

« Là ! » dit subitement Pedro en pointant son doigt sur une rune identique à celle qui se trouvait en dessous de la pierre rouge. « La rune de feu … Et là, la rune d’eau sous la pierre bleue … bon de toute évidence ça montre les quatre éléments. Le cinquième je ne vois pas à quoi peut-il correspondre. »

La rune qui se trouvait en dessous de la pierre noire était presque indéchiffrable. Un peu effacée par l’usure du bois visiblement. Pedro passa une main dans ses cheveux sombres, puis se laissa tomber sur une chaise. Les écorchures vives qui suintaient sur ses bras et son visage commençaient à le déranger. Il analysa encore une fois l’objet, quand un bruit de verre brisé le fit se lever d’un bond de sa chaise.

« S’passe quoi encore ? » mugit-il.

Ne pouvaient-ils pas passer cinq minutes tranquille dans cette serre ?

Alors qu’il regardait Shae se pencher sur la question avec une certaine satisfaction, un bruit de verre brisé lui glaça le sang. Ne pouvaient-ils pas être tranquilles juste une minute ? C’était trop demandé ? D’un seul bond, les deux protagonistes se dirigèrent vers la provenance du bruit, s’engouffrant dans la jungle épaisse qu’offrait toute cette diversité de plantes. Des branches cinglaient son visage, mais Pedro s’en fichait. L’angoisse l’enveloppait tels des tentacules épaisses dont il n’arrivait pas à se défaire. Etrangement, il appréhendait mal la chose, comme s’il se doutait d’avance ce qui allait se passer. Baguette en main, il était prêt à intervenir contre le malfrat qui avait osé pénétrer sa serre sans la moindre gêne. Mais peut-être qu’il fabulait. Peut-être qu’il se laissait prendre par la paranoïa. Le vent soufflait comme la peste dehors, les branches des arbres et les volets claquaient dans un bruit sinistre et dérangeant. Evitant plusieurs fois de justesse les racines noueuses qui jonchaient le sol, le professeur s’arrêta net devant l’épouvantable situation qui s’offrait à eux. Là, juste devant lui, devait se trouver ladite Gardienne des Enfers. Mais seul un trou béant se dessinait sous son nez et un froid glacial pénétrait comme un diable par l’ouverture gigantesque au plafond.

Pedro se frotta activement ses bras nus tout en jetant un bref coup d’œil à Shae sans dire le moindre mot. Elle devait le détester. Mais Pedro n’était pas du genre loquace, et ça, elle devait se le mettre dans la tête depuis le temps qu’ils se côtoyaient. Le professeur pointa sa baguette magique vers le plafond et marmonna des paroles inaudibles. En quelques secondes seulement, les bouts de verre éparpillés sur le sol, remontaient jusqu’aux branches en fer pour reformer un toit de verre solide. La température ambiante de la serre avait drôlement chuté, mais il faisait encore assez chaud pour ne pas voir les plantes dépérir. Le professeur de Botanique n’avait pas le temps de se consacrer une demi-heure à remettre les choses à l’état normal. Non, l’inquiétude s’emparait de lui, se lisant aisément sur son visage. Le premier automatisme aurait été de boire une bonne gorgée de whisky pur feu, histoire de se calmer, mais malheureusement le professeur n’avait aucun alcool sous le coude. A vrai dire, depuis quelques semaines Pedro essayait de restreindre son addiction.
Il pivota sur ses talons sans prononcer le moindre mot. Shae avait tout dit. S’ils ne retrouvaient pas le bourgeon géant, celui qui l’avait volé allait forcément avoir de gros ennuis. Ou mettre quelqu’un en danger. Bien sûr, la moindre faute retomberait sur le professeur de Botanique et trouver des explications n’était pas l’un de ses atouts. Non, il se voyait déjà les valises en mains direction Londres. Rien que cette idée puisse paraitre possible, lui glaçait le sang. Il enfila un gros pull en laine gris, enroula sa longue écharpe sombre autour du cou et noua son épaisse cape hivernal. D’un simple signe de la tête, il somma Shae de prendre exemple sur lui. Ils n’allaient pas rester là sans rien faire, alors qu’une plante tueuse séjournait dans le blizzard. En fait, Pedro ne savait pas bien ce qui l’inquiétait le plus. Que la plante meurt par un écart de température si important, ou si quelqu’un l’avait volé dans l’objectif de commettre l’irréparable ?

Enfin paré pour affronter le vent polaire, les deux sorciers ouvrirent lentement la porte. Pedro détestait littéralement l’hiver. Une petite lanterne brillait de sa lumière orangée au loin. On la distinguait à peine, laissant penser que l’entrée de la grande porte de Poudlard se trouvait à des années lumières de la serre. L’envie de rentrer au château était trop tentante. Mais la question ne se posait même pas. Ils devaient retrouver cette plante, coûte que coûte. Alors que Shae venait de refermer la porte derrière elle, coupant ainsi toute source de chaleur quelque peu réconfortante soit-elle, Pedro lui adressa un regard triste et sérieux.

« Rentre au château te mettre à l’abri du vent. Je ne veux pas que tu attrapes froid. Je me charge de retrouver la plante. » hurla-t-il pour être sûr que la jeune fille ait tout compris, malgré le vent qui se faisait de plus en plus violent.

Le visage de Shae se dessinait dans la lueur blanchâtre de la nuit. Elle semblait comme à son habitude, prompte à laisser les paroles d’un professeur de côté et de suivre sa propre directive. Pedro avait longtemps laissé tomber l’idée de dresser la demoiselle. Il n’avait aucune autorité sur elle … à croire qu’elle agissait comme s’ils étaient de simples frères et sœurs. Ca ne déplaisait pas le professeur, mais il avait des doutes quant à leur relation, bien étrange soit-elle. Les lèvres de la jeune fille craquelaient sous la boule de lumière argentée que venait de faire apparaitre Pedro. Elle paraissait encore plus belle dans cette lueur magique. Son visage pétrit de grâce lui redonna un sourire malingre, perdu dans sa barbe sombre qui bientôt se recouvrait de mille petits glaçons.

Il voulut soupirer de lassitude en voyant l’opposition claire dans le regard bleu azur de la demoiselle. Qu’importe, si elle voulait l’aider, il ne la rejetterait pas. Mais qu’elle ne vienne pas lui crier dans les oreilles qu’il n’était qu’un imbécile fini. Pedro pivota sur place, regardant les dégâts de la tempête tout autour de lui. La couche de neige était plus épaisse, d’environ une bonne dizaine de centimètres. Des pots en terre cuite jonchaient le sol, tous brisés en morceaux. Des plantes figées dans la glace pointaient difficilement le bout de leur nez en dessous d’une épaisse couche de neige. Pedro se dirigea ensuite vers les lieux de l’incident. Pour cela, il dût remonter toute la serre, pour finalement s’arrêter entre la serre n°2 et la serre n°3. Le vent y était moins rude et le froid un peu plus supportable. Il plongea un peu plus sa tête entre les couches épaisses de laine, puis jeta un coup d’œil sur la façade de la serre n°2. De longues trainées verdâtres et gluantes illustraient clairement la direction qu’avaient prise la plante et son voleur. Pedro se retourna vers la Serdaigle qui grelottait, tout en maugréant un tas de jurons. Le professeur laissa échapper un petit rire étouffé, puis se contenta de montrer du bout de sa baguette les traces visqueuses, qui partaient en direction de la cabane d’Hagrid. Mais avec le vent et les flocons qui pestaient telle une furie capricieuse, les traces seraient rapidement recouvertes par la neige, empêchant les deux sorciers de continuer leurs investigations.

« On devrait se dépêcher avant de perdre les traces. Tiens, ça devrait te réchauffer. Je t’apprendrais ce sortilège plus tard. »

Pedro pointa sa baguette sur la cape et l’écharpe de Shae et une vague de chaleur enveloppa la laine et le tissu de la jeune fille. Au moins, elle pouvait se réchauffer quelques minutes. Le sortilège se dissiperait dans quelques instants, mais traverser la tempête de neige en serait moins pénible. Pedro esquissa un sourire perdu, puis porta sa large capuche sombre sur sa tête. Dans un claquement de cape et tissu, il s’engouffra dans le tumulte d’un vent perfide.

Ils avaient à peine parcouru quelques mètres lorsque les rafales devinrent plus violentes, et commencèrent à soulever la neige poudreuse en tourbillons de glace, leur projetant une mitraille de grésil dans la figure. Pedro s’arrêta pour s’essuyer les yeux avec sa manche et chasser les glaçons de ses sourcils. Tout en haletant péniblement – ses poumons se contractaient, gelé par le froid mordant de la tempête – Pedro jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Shae ne disait plus rien, avançant péniblement, pliée sur elle-même.

« Il ne faut surtout pas s’arrêter. Les traces se dirigent vers la réserve du potager ! »

Ce damné froid lui réduisait mes poumons en lambeaux. Il espérait sincèrement que les traces les mèneraient vers un refuge, un endroit à l’abri de cette tempête insupportable. Il se redressa lentement et regarda tout autour d’eux, mais il savait qu’il ne pouvait pas distinguer grand-chose dans la nuit polaire. Même les lumières de Poudlard semblaient avoir totalement disparues. Ils étaient seuls au monde, enveloppés par la neige, le vent assourdissant et un brouillard laiteux. Ils avançaient sans vraiment savoir où les traces visqueuses les menaient.

Alors qu’ils avançaient péniblement dans le froid sans émettre le moindre son, un vent hurlant chassait la neige dans la bouche et les yeux de Pedro. Emettre le moindre râle en devenait presque un calvaire insupportable. Non, Pedro avait remonté sa lourde écharpe couverte de givre jusqu’aux yeux, recouvrant le maximum de chair possible. Il se demandait comment Shae s’en sortait. Il apercevait tout juste la silhouette féminine de cette dernière, sa cape claquant au vent. Enfin, au bout de quelques minutes qui semblèrent des heures de torture, son visage encrouté de glace s’arrêta brusquement devant une petite cabane en bois. Elle semblait apparaitre de nulle part, comme par pur enchantement. Les traces visqueuses passaient sous la porte branlante, qui vibrait à chaque bourrasque de vent. La main percluse d’ankylose, Pedro tourna difficilement la poignée. Shae venait de le rejoindre. On aurait dit qu’elle n’était plus qu’une poupée de porcelaine, démunie de toute expression. Comme si chacun de ses muscles étaient figés dans la glace.

Dans un grincement sinistre, les deux acolytes pénétrèrent la cabane du potager de Pedro. Il faisait sombre et froid, mais la température y était plus agréable qu’au dehors. On entendait le vent siffler entre les faibles ouvertures. On aurait pu croire qu’il s’agissait là d’une minuscule cabane à outils, mais contrairement aux apparences, la magie laissait paraitre de nombreuses surprises. C’est là que Pedro y nichait toutes les plantes, pots et outils en tout genre durant les hivers rudes. Une longue galerie qui s’étendait sur plusieurs kilomètres.

« Lumos ! »


Les trainés vertes continuaient tout droit, se perdant dans la pénombre. Tout y était saccagé. A croire que le voleur n’avait pas fait dans le détail. Si la plante avait pris cette direction, c’est qu’ils en étaient plus vraiment loin. Après tout, au bout de ce tunnel on n’y trouvait qu’un mur couvert d’une multitude de fioles sans grande importance. Pedro pouvait enfin respirer. Il se retourna vers Shae, lui posant ses mains sur ses épaules.

« Tu es prêtes à agir ? Même s’il s’agit simplement de la plante et non d’un voleur, je t’autorise dans tous les cas, à la détruire. »

Oui, malgré toute la bonne volonté qu’il essayait en vain de figurer, Pedro ne pouvait pas se permettre de garder une plante aussi dangereuse au sein de l’école. Ca lui faisait mal au cœur de l’admettre, mais la Gardienne des Enfers, aussi rare soit-elle, devait périr au risque de coûter la vie de quelqu’un. Les deux sorciers s’engouffrèrent dans un tunnel sans fin, dont la pénombre n’était visiblement pas réconfortante. Mais au moins, ils étaient à l’abri du froid et du blizzard. Baguette en main, le cœur battant, Pedro essayait d’émaner le plus de courage possible. Il tendit la main à Shae, comme pour lui faire comprendre qu’il était là et qu’il ne lui laisserait rien arriver.

D’un bref coup de baguette magique une vague de chaleur s’empara de Shae. Ainsi, ils pouvaient avancer dans la pénombre tranquillement, sans que la Serdaigle n’accuse encore Pedro de l’abandonner à une mort imminente. Ils marchèrent dans un silence de mort pendant de longues minutes. Le Professeur resserra ses doigts contre ceux de la jeune fille à chaque bruit suspect. Il avait trop besoin d’elle et ne lui permettrait qu’aucun malheur ne lui arrive. Non, jamais il ne s’en remettrait. Il avait tant perdu et trop souffert dans sa misérable vie pour replonger une énième fois. En quelque sorte, Shae lui redonnait espoir, le goût de la vie. Il n’avait jamais autant souri en une seule soirée, malgré tous les événements catastrophiques qui s’enchainaient à en perdre le fil. Il la toisait quelques instants dans la pénombre, sans qu’elle ne s’en aperçoive. Belle, délicate … elle aurait pu être parfaite si son caractère bien trempé ne venait pas entacher une grande partie de cette image rayonnante.

Le tunnel s’enfonçait dans des profondeurs de plus en plus humides et moites. Respirer en devenait presque insupportable. En général, Pedro évitait de s’enfoncer aussi loin. D’ailleurs il n’avait jamais compris pourquoi le tunnel s’étendait sur une telle distance. Mais que voulez-vous ? Lorsqu’on embauche un nain, il faut s’attendre à de véritables galeries. Heureusement pour nos deux sorciers, le chemin qui devenait de plus en plus étroit continuait toujours tout droit. Pedro tendit l’oreille et entendu le bruit commun et familier de branches et de feuilles se mouvant dans la pénombre. Le bourgeon ne devait plus être très loin. Sa baguette en avant, toujours prêt à frapper au moindre mouvement suspect, Pedro avança tel un preux chevalier prêt à combattre la bête féroce. Pourtant, il s’arrêta net lorsqu’il vit le monstrueux Bourgeon se dessiner sous la lueur blafarde de sa baguette magique.

Aucune trace humaine. Pas le moindre voleur. Ainsi le végétal avait agi par lui-même. Cette créature était intelligence et vicieuse à n’en pas douter. Le sérum n’était qu’un leurre, une façon de détourner l’attention des deux sorciers pour finalement s’évader. Pedro se maudissait de ne pas avoir apporté la boite avec lui. Peut-être qu’il était temps de l’utiliser. Après tout, le Scandinave lui avait bien dit que les deux étaient liés. Dans quelle mesure ? Le professeur n’en avait pas la moindre idée. Alors qu’il voulut projeter son idée à Shae, la Serdaigle brandissait sa baguette magique pour lancer une vague enflammée vers le bourgeon. La lumière vive des flammes brulèrent les yeux de Pedro. Il dût se protéger le visage à l’aide de sa cape et détourna un bref instant son attention. Le bourgeon laissa échapper un hurlement strident, si aigu et désagréable que Pedro plia du genou pour se boucher les oreilles. Le cri résonnait en échos dans tout le tunnel.

Il venait de s’ouvrir en grand, ouvrant sa gueule béante, plus monstrueuse qu’avant. De longs crocs pointus se dressaient dans tous les sens et trois langues sortirent léchant les flammes avec prudence. Les lianes bien plus épaisses et couvertes d’épines sanguinolentes frappaient l’air et la paroi rocheuse. Elle se débattait, couvrant très vite les attaques de Shae. Pedro se releva enfin pour pointer sa baguette en direction du monstre végétal. Il était vraiment dommage de détruire une telle beauté de la nature, mais cette fois-ci, le professeur songeait plus à la santé de ses élèves et des habitants du château, plutôt qu’à celle de cette plante.

« Incendio ! » dit-il d’une voix rauque.

Une gerbe de flammes rougeoyante tourbillonna dans l’air humide pour s’écraser contre le Bourgeon. D’un simple signe de tête et d’un regard commun, Shae et Pedro enchainèrent le sortilège en même temps. Avec toutes ces déflagrations, la Gardienne des Enfers ne pouvait plus rien. Improbable qu’elle puisse résister longtemps. Un sourire torve se dessinait enfin sur le visage poisseux de Pedro. Il était heureux de partager un tel moment avec Shae. C’était comme un combat unique qu’ils mettaient en œuvre, terrassant avec une facilité presque déconcertante, un ennemi redoutable.
Alors qu’ils continuaient à envoyer leurs flammes dévastatrices sur l’immense bourgeon, celui-ci se referma sur lui-même. Une croûte noire se forma tout autour de ses pétales orange, donnant l’impression qu’il se transformait en une sorte de gros charbon encore chaud. Mais quelque chose clochait. Pedro abaissa sa baguette lentement, plissant les yeux pour mieux analyser la situation. Plus rien. Seuls de fines fumées blanchâtres s’élevaient du bourgeon noir pour se perdre dans la pénombre.

« Reste en arrière. » dit Pedro à Shae d’une voix presque inaudible.

Il s’avança doucement sous les protestations de la Serdaigle. Mais il n’était pas sûr que tous leurs efforts aient l’effet escompté. Il inspira profondément. Il était à quelques centimètres à peine de la paroi carbonisée du monstre, quand il vit celle-ci se soulever à un rythme régulier. Le bourgeon respirait encore. Pedro fit un pas brusque en arrière, jetant Shae un peu plus loin à l’aide d’un sortilège de répulsion.

« Recule ! » hurla-t-il.

Le Bourgeon s’ouvrit d’un coup, laissant échapper un cri effroyable qui glaça le sang de Pedro. Une odeur pestilentielle lui donna presque l’envie de gerber. Les lianes s’agitèrent vélocement et se dirigèrent vers Pedro pour le frapper de plein fouet. Le professeur fut projeté en arrière, le souffle court, pour tomber lourdement sur le dos. Il crut entendre ses os craquer au même moment qu’il atteignit le sol, mais visiblement, il arrivait encore à se relever sans trop de mal. Le monstre végétal beugla plusieurs fois d’affilé.

« Visiblement, on l’a un peu énervé. » dit Pedro légèrement ironique. « Attention Shae ! Protego ! »

Une liane couverte d’énormes piques venait tout juste de percuter le champ de force invisible qui protégeait la jeune sorcière. La terre trembla tout autour et la créature des enfers s’approchait dangereusement d’eux. Ils n’avaient plus le choix … il fallait rebrousser chemin, courir vers la sortie. C’était soit mourir bouffer par cette créature ou espérer affronter le blizzard pour regagner le château. Les lianes s’enroulèrent autour du bras gauche de Pedro pour le trainer vers la bouche.

« Diffindo ! »

Il trancha à plusieurs reprises les tentatives du monstre végétal, qui hurlait de rage à chaque fois qu’on lui tranchait un membre, pour en faire repousser d’avantage. Il était impressionnant comme le bourgeon arrivait à se régénérer aussi rapidement.

« Cours Shae ! Cours vers la sortie et ne t’arrête pas ! »

Le ton était sérieux. C’était un ordre de survie cette fois-ci et Pedro n’était pas prêt à rigoler. Il avait une petite idée en tête. Tout en détalant dans la pénombre, manquant plusieurs fois de chuter sur des pots qui obstruaient le chemin, il regagna en quelques instants le niveau de son élève (qu’il remerciait grandement tous ses entrainements de jogging). Il la considéra un bref instant, lisant terreur et mécontentement sur le visage.

« J’ai une idée. On va etouffer cette plante en l’enterrant vivante dans le tunnel. Le risque, c’est qu’il peut nous tomber également dessus. Donc on fait ça au plus proche de la sortie. Genre on ouvre la porte et on balance un bombarda sur les parois ! »

Il espérait simplement que la bête ne les rattrape pas jusque là.

Il courait à en perdre haleine. Son souffle n’était plus qu’un soufflet de forge qui aspirait l’air à grands bruits. Ses pas heurtèrent de nombreux débris qui jonchaient le sol et manqua plusieurs fois de perdre l’équilibre dans sa course effrénée. Shae n’était pas loin derrière lui, Pedro le sentait. Toutefois, il ne pouvait pas se retourner, il savait la bête sur ses talons. Derrière lui, le bourgeon avait pris encore plus d’ampleur et claquait ses grandes lianes dans les airs. Des pans de murs se décrochaient dans un fracas assourdissant. La peur envahissait le professeur comme les tentacules d’une pieuvre malade. Et si son plan n’était pas le bon ? Et si tous ces efforts de lutte finiraient par les tuer ? Pedro doutait sérieusement de lui, mais devait garder ses craintes pour ne pas faire paniquer d’avantage son élève.

Se propulsant vers la sortie avec une pointe d’adrénaline dans le sang, Pedro fut ébloui par la lueur du jour. Il tomba les mains à plat dans la neige glaciale, le vent lui soufflait dans les oreilles. Un froid imparable l’enveloppa en quelques instants. Pourtant, il se releva aussitôt, n’éprouvant aucune fatigue, ni faiblesse. La baguette pointée droit en direction de la porte fracassée, il fit un bref signe de tête à Shae et tous deux, dans un même son de voix, lancèrent le sortilège « Confrigo ». Le cabanon s’écroula sur lui-même, emportant avec lui un cri étouffé, mais pourtant effroyable de la bête. Il ne restait plus rien face à eux, simplement de grossiers débris de briques et de planches, qui furent rapidement recouvert par la neige.

Enfin, Pedro se laissa tomber en arrière dans la poudreuse épaisse, soulagé que tout soit enfin fini. Même si au fond de lui, avoir tué un si beau spécimen lui brisait le cœur, il était content de s’en être sorti en un seul morceau. A ses côtés, Shae qui maugréa comme à son habitude. Quoi ? Croyait-elle qui s’agissait là d’un simple jeu ? Il ne lui avait jamais demandé de l’accompagner. Mais au moins, elle voyait la réalité, la dure réalité du monde des sorciers. Même si l’horreur de la guerre n’était plus présente, le monde ne reposait pas en toute tranquillité. Qu’il s’agisse d’une plante tueuse, d’un animal magique dangereux ou encore de personnes mal intentionnées, il y avait trop de choses sur lesquels il fallait rester aux aguets. Bien sûr, à 16 ans les questions que l’on se pose restent bien futiles. Il n’est pas question de risquer sa vie pour la science ou encore pour une envie quelconque. On songe simplement à son bien-être, aux notes que l’on peut décrocher ou encore à l’arrivée de ses examens.

Elle croyait avoir vu le pire ? Elle était bien loin de la réalité et Pedro ne put s’empêcher de sourire. Il se releva secouant ses mains couvertes de neige. Le froid les enveloppait tout autour, ne jugeant pas la peine de les épargner malgré ce qu’ils venaient de traverser. Pedro pointa sa baguette vers Shae et lui réchauffa les vêtements. Il ne voulait pas la transporter sous son bras tel un gros bloc de glaçon.

« Viens, rentrons au château. »

Le vent pestait comme le diable autour d’eux. Leurs pas s’enfonçaient dans la neige, rendant leur avancée pénible et désagréable. Malgré tout (et même si Shae ne cessait de pester contre les dieux), ils apercevaient enfin les serres de botanique au bout de quelques minutes. Pedro continua son chemin, tenant fermement la main de Shae entre ses gros doigts. Il ne savait pas si elle lui en voulait, mais même si c’était le cas, il n’avait rien à se reprocher. Après tout, combien de fois lui avait il dit de retourner au château ? C’était certainement la preuve qu’elle tenait à lui, malgré tout. Et en toute honnêteté, le professeur était fier d’elle. Fier de l’avoir eu à ses côtés, fier de toute ce qu’elle avait pu donner, ne bronchant pas le moins du monde face à la férocité de la Gardienne des Enfers.

Lorsqu’ils pénétrèrent le Hall d’entrée, Pedro se secoua comme un chien mouillé, répandant toute la neige sur ses épaules et ses cheveux sur le carrelage froid de l’école. Il aurait tout donné pour qu’un groupe d’élèves vienne à lui avec son fauteuil et une bonne tasse de thé bien chaude. L’idée même de grimper les innombrables marches de l’escalier de marbre le tuait d’avance. Ils venaient de vaincre l’une des pires créatures de l’histoire et il n’avait déjà plus la force de grimper un escalier ? Pedro se secoua, puis jeta un coup d’œil vers Shae.

« Tu t’es débrouillée comme une chef, je suis fier de t’avoir eu à mes côtés Shae. » lui dit-il en lui calant une main réconfortante sur les épaules. « Mais promis, la prochaine fois, je te montrerai quelque chose de plus ennuyeux. Allez, file, tu as mérité une bonne douche chaude. »
Lui-même ne rêvait que d’une seule chose ; se laisser choir dans sa baignoire remplie d’eau chaude.